Témoignage : la crise sanitaire vue par Chimie Shanghai

Interview de Jacques Mercadier, responsable de l’Institut franco-chinois Chimie Shanghai (ECUST).

Comment avez-vous vécu cette crise en Chine ?

Cela a été un peu particulier : je suis rentré de Shanghai au moment où les élèves se sont retrouvés en vacances, peu de temps avant le nouvel an chinois. Je n’avais entendu parler de rien ou presque. Une semaine plus tard toute la Chine était confinée. Comme beaucoup, je me suis alors dit qu’il fallait vraiment un Etat comme la Chine pour prendre des mesures aussi draconiennes. Un mois plus tard, nous étions confinés à notre tour.

Ce qui a été très frustrant pour moi c’est de ne pas avoir pu être au côté des élèves et des collègues dans cette période si difficile. Surtout au début lorsque l’épidémie était très grave en Chine et de faible intensité en France. Je me sentais un peu comme un déserteur. Même si, ma raison me disait que tous, collègues et élèves étaient chez eux et qu’être sur place n’aurait rien apporté.

Comment la crise a-t-elle été gérée vis-à-vis des élèves ?

Les élèves de Chimie Shanghai ont été confinés comme tous les autres ; ils sont toujours chez eux, dans leur famille. La « rentrée » a été décalée de deux semaines et les cours ont repris le 2 mars. A distance évidemment ! La base de l’enseignement était constituée de documents commentés mis à leur disposition et de séquences de questions/réponses en direct.

Nous avons la chance d’avoir une équipe administrative très efficace qui a pris des nouvelles des étudiants et, aussi, d’enseignants permanents de français qui ont maintenu le lien -physiquement – avec les élèves.

Et en science, les collègues ont été exceptionnels : nous ne fonctionnons qu’avec des collègues des écoles de la FGL qui vont enseigner sur place pour des missions de deux semaines. Bien entendu, tout a été annulé. Ils ont tous (un seul a eu un soucis et a été remplacé très rapidement) accepté de transformer leurs contenus pour permettre l’enseignement à distance, en respectant les demandes de l’ECUST bref, en assurant ce que nous n’appelions pas encore la continuité pédagogique. Tout cela en anglais car les élèves de première année n’ont pas encore le niveau de français suffisant pour suivre les enseignements scientifiques dans cette langue.

Comme pour les élèves français, nous avons observé que quelques étudiants ont des conditions plus compliquées pour suivre l’enseignement à distance, notamment à cause de problème de connexion mais aussi parce que certains finissent par se lasser de ce mode d’enseignement.

Quels principaux outils ont été utilisés ?

L’ECUST a défini très tôt la façon dont elle allait fonctionner : module de cours constitués de diapositives commentées avec des documents complémentaires mis à disposition mais, aussi, séances de questions/réponses en direct via zoom. Il faut noter que l’ensemble des cours de langue française s’est déroulé par zoom ce qui a donc permis de maintenir un lien très régulier avec les élèves. Au niveau des évaluations, il a fallu, là aussi, s’adapter en proposant des évaluations essentiellement sous la forme de QCM, tout en intégrant du contrôle continu sous la forme de rendus de travaux. En français, l’oral a également pu être évalué à distance.

Cette crise est-elle finie pour vous ?

J’aimerais pouvoir dire que la crise est finie mais, bien sûr, ce n’est pas vrai.

Évidemment, ce que nous souhaitons, c’est que les étudiants puissent retrouver le chemin de l’université ! Mais aussi que nous puissions, à nouveau, aller faire cours à Shanghai. Dans cette expérience interculturelle, c’est évidemment, extrêmement important !

Ce qui me semble poser problème aujourd’hui, c’est la différence d’approche. La Chine semble viser l’éradication de l’épidémie alors que la France et l’Europe sont plutôt dans l’idée de la maintenir à un niveau acceptable. Cela me semble assez incompatible mais nous allons voir ce qui est répondu à la proposition européenne d’admission réciproques de nos ressortissants.

Quelles actions sont prévues la prochaine rentrée ?

La rentrée à Shanghai va être décalée pour permettre aux étudiants de récupérer les séances de TP qui n’ont pu être faites au cours du dernier semestre.
Soit dit en passant, cela pourrait poser problème pour les étudiants du programme d’échange que nous avions avec l’ECUST depuis 2009 et dont l’arrivée en France pourrait être retardée.

J’espère que nous pourrons maintenir une semaine d’accueil pour les nouveaux arrivants : c’est une très belle initiative que de proposer à ces jeunes chinois qui arrivent de toute la Chine une semaine pour assister à des conférences, découvrir les campus de l’université et, aussi, Shanghai qu’ils ne connaissent pas tous, loin de là.

De façon plus générale, la rentrée semble se profiler en présentiel avec un retour à la normale. Mais bien sûr, nous ne sommes pas à l’abri d’un reconfinement : nous savons y faire face maintenant…

Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?

J’ai envie de rester positif.

La première chose, c’est que la relation avec le partenaire chinois a tenu. Malgré les difficultés, tout le monde a su s’adapter. Nous avons assuré tous les cours prévus. Nos enseignants de langue ont continué à enseigner le français et à faire progresser leurs élèves. L’équipe administrative a maintenu le lien entre tous. Les collègues chinois qui coordonnent la relation entre nos élèves à Shanghai et les enseignants de nos écoles qui font cours ont parfaitement joué leur rôle d’accompagnement et tous ont su accepter les différences d’approche.

La seconde, c’est que nous avons aujourd’hui de nouveaux outils. Le modèle, c’était qu’un enseignant partait d’une des écoles de la FGL pour 15 jours, enseignait 20, 30 ou même parfois 40 heures et laissait un sujet pour que les collègues sur place organisent l’examen. Il corrigeait les copies et, voilà. Aujourd’hui, nous avons des outils pour rendre cela plus digeste. Nous savons travailler à distance. Nous pouvons imaginer de disposer de quelques heures pour préparer l’intervention et de faire durer l’apprentissage au-delà de la présence sur place. Cela pourra prendre la forme d’exercices corrigés en direct via zoom ou de corrigés commentés.

Et puis n’oublions pas la solidarité que nous ont montré les collègues chinois en nous adressant de nombreux messages et aussi des masques au plus fort de la crise épidémique en France. Cela rappelle, qu’au-delà de tout, nous créons une très belle aventure humaine.

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Sur le site internet de ParisTech, partenaire de l’Institut franco-chinois Chimie Pékin :

« Comment apprendre à distance dans une langue étrangère ? » Ronan Feneux, enseignant à Chimie Pékin, partage son expérience 

Clément Robbe, professeur de physique à Chimie Pékin, a relevé le défi pédagogique du confinement