La chimie, une industrie du futur ? interview de Jérôme Cassayre, Syngenta

Les 18 et 19 novembre 2019, l’ENSCMu, l’ECPM et l’ENSIC organisaient les Journées de la Fédération Gay-Lussac sur le thème « La chimie : une ingénierie pour le futur ». Jérôme Cassayre, responsable de la recherche en chimie de protection des cultures à Syngenta, participait à une table ronde sur les enjeux et du futur de la chimie et du génie chimique. Revenons avec lui sur les grands enjeux de notre industrie demain et comment nos écoles peuvent y répondre.

En quoi la chimie est-elle une industrie du futur?

La chimie est à la base du vivant. Elle est présente partout. L’industrie chimique a contribué de manière significative – notamment au siècle dernier – à l’augmentation de l’espérance de vie humaine grâce aux progrès de l’hygiène, de l’agriculture, des soins médicaux. La chimie est aussi présente au quotidien dans notre vie de famille, dans nos loisirs…

La chimie est une discipline que je qualifie de résiliante. Elle a su s’adapter, montrer sa capacité à évoluer en fonction des attentes de la société.

Aujourd’hui, nous sommes à un nouveau carrefour pour la chimie qui doit se réinventer pour se mettre au diapason des attentes des citoyens. C’est le défi majeur de notre industrie : passer du TOUT chimie au MIEUX chimie.

Quels sont les grands défis auxquels celle-ci sera confrontée dans les prochaines années ?

Pour faire mieux, il nous faut entrer dans l’ère de la durabilité ; changer l’état d’esprit des chimistes est l’un de nos plus gros défis. Je voudrais citer trois axes pour répondre à celui-ci :

  • évoluer vers des matières premières non fossiles, un grand challenge puisque aujourd’hui la grande majorité des produits de la chimie sont issus du pétrole ;
  • concevoir des produits plus respectueux de l’environnement et dont le cycle de vie a été pensé en amont. Quelle est la valeur ajoutée du produit et comment va-t-il évoluer après son utilisation et se dégrader ?
  • développer des procédés de production plus sûrs, plus vertueux en terme de production de déchets et de consommation d’énergie.

Vous parlez donc de la chimie verte ?

Le concept de la chimie verte a émergé dans les années 90 avant d’être conceptualisé en 1998 par les deux chercheurs américains Paul Anastas et John Warner, mais a été longtemps considéré avec condescendance par la communauté scientifique. Mais c’est aujourd’hui une notion qui fait partie de la réalité de la plupart de nos entreprises avec deux orientations majeures pour prendre l’exemple de Syngenta :

  • la conception de produits qui répondent aux besoins des agriculteurs et de la société tout en intégrant la sécurité alimentaire, l’impact sanitaire et environnemental. Nous parvenons à intégrer ces paramètres de plus en plus tôt dans la conception des produits.
  • les procédés de fabrication qui prennent en compte la durabilité du produit à la fois dans la manière dont il est fabriqué mais aussi dans son impact environnemental à long terme.

Syngenta s’est par exemple engagé à réduire de 50% son empreinte carbone d’ici 2030 et investir plus de 2 milliards de dollars pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre en agriculture.

Nous avons également un devoir d’éducation de la population à la science. Toute activité humaine a un impact et le grand public peut le comprendre. Mais nous devons prouver que nous faisons tout minimiser celui-ci. C’est le préalable nécessaire pour rétablir le dialogue entre nos entreprises, la communauté scientifique et la société.

Dans mon département nous allons réduire la consommation de solvants difficiles à recycler de 50% cette année. A terme, nous essayons de les supprimer complètement en encourageant la recherche pour trouver des produits de substitution. Je remarque une adhésion très forte des employés sur ces orientations, notamment de la jeune génération.

Quelles sont aussi les mutations en interne prévisibles dans les entreprises en chimie ?

La principale mutation en interne est l’automatisation accrue de beaucoup de procédés au service de la génération et l’analyse de données en temps réel.

La révolution numérique va d’ailleurs nous permettre de développer de nombreux principes de la chimie verte car elle permet de tester de nombreuses hypothèses très rapidement de manière virtuelle, elle permet ainsi d’améliorer les procédés avant de passer de vrais tests en laboratoires.

Beaucoup de chimistes ont peur de l’intelligence artificielle et pensent qu’elle va les remplacer. Je ne suis pas de cet avis. Je pense, qu’au contraire, elle va produire de meilleurs chimistes. Avec une efficacité exceptionnelle pour analyser la connaissance existante, elle est un assistant à la décision très performant. Mais l’IA ne permet pas la créativité qui reposera toujours sur l’humain.

Quelles seront les compétences attendues des futurs ingénieurs en chimie?

L’industrie chimique doit attirer de nouveaux talents, améliorer son déficit d’image et son attractivité.

Côté formation, je citerais quatre défis à relever :

  • Former les jeunes aux sciences du numériques. C’est un grand défi de réintégrer les mathématiques dans une science très expérimentale qu’est la chimie. Beaucoup de jeunes s’orientent vers la chimie car ils ne sont pas attirés par les maths.
  • Mettre le leadership au cœur des compétences de l’ingénieur : les meilleurs chimistes sont ceux qui sont capables de confronter ceux qu’ils ont appris à l’environnement stratégique interne et externe. Les qualités humaines, la capacité à gérer des projets et à travailler en équipe sont tout aussi importantes que les connaissances scientifiques.

Les ingénieurs sont aussi souvent orientés vers la solution du problème et non l’identification de celui-ci. Or, ce que l’on attend de l’ingénieur de demain c’est qu’il soit en mesure de trouver les bons sujets de travail. Je dirais qu’un ingénieur ou chercheur chimiste devrait passer 90% de son temps à identifier les problématiques et 10% à les résoudre.

  • Rendre les jeunes chimistes conscients des enjeux autour de leur activité : le changement vient d’abord d’une prise de conscience. Chaque ingénieur chimiste devrait se sentir scientifique citoyen et ne pas être uniquement centré sur sa discipline et ses résultats.
  • Favoriser l’ouverture internationale et multidisciplinaire en favorisant le dialogue pendant la formation. Sur notre site de 300 personnes il y a 25 nationalités différentes ! Notre richesse c’est la diversité mais celle-ci demande un effort de chacun pour aller vers l’autre. Encourager activement la parité relève du même état d’esprit.

Que diriez-vous à un jeune qui souhaite entreprendre des études en chimie ?

La chimie est une discipline en mutation ; c’est une science extraordinaire à la base de la société et de la vie, à l’interface de nombreux domaines : l’informatique, la biologie, la physique, la médecine… et qui mène à des métiers extrêmement variés.

N’importe quel jeune avec un bagage scientifique y trouvera quelque chose qui va le passionner !

 

SYNGENTA

Né en 2000, le groupe Syngenta est aujourd’hui leader mondial dans son secteur et apporte des solutions en semences et protection des cultures aux agriculteurs du monde entier.
Syngenta œuvre au côté des agriculteurs et avec l’ensemble de la filière agricole pour une agriculture compétitive et responsable qui soit également génératrice de valeur. La réussite de Syngenta repose sur quatre piliers clés : l’innovation, la proximité, une large gamme d’offres et l’accompagnement des agriculteurs.

Syngenta en chiffres :

  • 2000 : année de création de Syngenta
  • Chiffre d’affaire : 12,8 milliards de dollars
  • 700 millions de dollars investis en Recherche et Développement en protection des cultures chaque année
  • Présent dans 90 pays, 28 000 salariés dans le monde, 2500 en recherche et développement

 

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